1988 – Robert Lapoujade-Peintures, Galerie de l’Odéon
Notes de Robert Lapoujade sur les oeuvres exposées
Notes »d’abord » sur quelques peintures..
Où il sera dit en premier à Marie-Thérèse Mathieu, mes remerciements pour avoir bien voulu présenter mes toiles dans sa galerie… (1).
Où directement j’avancerai que je tiens la peinture pour un langage, comme une science et comme un système de connaissance sinon je ne peindrais pas…
Dans le sens de cette recherche, j’ajoute que je ne risque pas de battre des records de vitesse, ou de pratiquer une « abstraction » systématique. Enfin considérant que la peinture n’est en rien « illusoire », bien que quelques-uns le prétendent ou que d’autres en usent pour des effets d’optique, ou « tromper l’œil », je tiens pour acquis que la vraie peinture se spécifie par le « style » singulier de chaque artiste. Façon imaginaire d’exprimer la réalité, de la fixer dans nos mémoires ; façon « comme la parole nomme » et « ne ressemble pas à ce qu’elle désigne », observait Merleau-Ponty. Façon encore, picturalisée, au point de se fonder en matière de couleur ; de se qualifier en façon d’ETRE, en substance et en profondeur de toute re-présence, de toute re-présence… Sauf que de ce critère ontologique perceptible – mais rarement considéré – i l faut que le spectateur, en prenant un peu de recul, COMBLE l’énoncé pictural par la conduction du regard induit par notre don de double vue. Comble la « grande différence : entre ce qu’il perçoit à première vue et ce qui apparaît en évidence… Entre une représentation plus ou moins Figurée, structurée ou substructurée, « figuriste » (2), et la re-présentation qu’il imagine et trâns-voît…
Avec en premier comme exemple : cette peinture incopiable après deux ans de travail,
LE PRINTEMPS ET L ‘ETE . (n° 1)
Dont on peut transvoir avec un peu de patience, le relief des corps et les doubles ou triples visages, dans un espace différent de la perspective tridimensionnelle… Où l’on retrouvera cette autre dimension (la quatrième ?…), dans :
LA FEMME QUI COURT. (n° 2)
En fixant le fin point central, « bleu céruleum », pour se pénétrer de son espace… Où tout autre sera le jeu, tendu par la « grande différence » entre le visage à première vue de :
L’ETUDE POUR L’AMBIGUÏTE. (n° 3)
Portrait peint de mémoire d’E.M. et le « double » qui le jouxte ; chacun apparaissant en effaçant l’autre…
PLAGE D’ETE. (n° 4)
Il me semble, à partir de petites esquises, (n° 5 et 6), que j ‘ a i pu rendre tout le vécu, et, le « réalisme » de brèves ‘ vacances, sans trahir l’épiderme pictural par une « illustration » par trop figurative de ma mémoire évasive. Mes portraits sont de mêmes déduits de cette mémoire et des « monogrammes de l’imaginaire » (selon cette heureuse formule de Kant) qu’elle engendre, touchant à une mystérieuse psychologie des profondeurs… Epiderme et harmonie surtout recherchés en particulier : avec :
L’AME DES DESSOUS. (n° 7)
(dixit Delacroix), entre des transparences et en utilisant un grand nombre des quelques 15000 tons et nuances, comme « valeurs » de toutes teintes dont le peintre dispose à partir du « clavier » de sa palette ; ainsi au premier abord et à première vue, sont indéfinissables un grand nombre de personnages, visages, culs et sexes, animaux, accouplements, etc..
LA PETITE BRANLEUSE GUETTEE PAR DEUX SATYRES. (n° 8)
J’ai tenté de « pousser » cette peinture à fond afin de ‘ ‘tenir’ ‘ la surface de telle façon qu’elle se chosifie en apparence au maximum et laisse sourdre, en bien-fondé, une sensation d’être : « le critère ontologique » précité. En outre montrer, à l’encontre des théories fumeuses de Kandinsky : » L a passivité est le caractère du vert absolu. Qu’il passe au clair ou au foncé, le vert ne perd jamais son caractère d’indifférence ou d’immobilité », que le vert n’est pas plus « absolu » ou « passif » qu’une autre teinte, et pas plus que le violet serait « maladif » éteint et triste » ; mais le vert donne une force velouté – entre les bleus et les jaunes, entre ses quelques teintes pures – d’une couleur très difficile à « moduler »… Pour changer de « sujet » :
FOULE EN LIES SE . (n° 9)
Entre dans la lignée de mes engagements politiques : « l’Enfer et la mine » (Gal-J.-R.-Arnauld, 1952), « Les Emeutes et la Torture », pendant la guerre d’Algérie, 1961. « Choses vues », en participant aux événements de Mai 68, (Gal-Pierre-Domec). » L e Métro Charonne », Salon de Mai. Tout cela occulté facilement par les pseudohistoriens Pompidoliens. Mais à quoi bon être épingle et enterré dans les années 50, s’il est vrai que l’art échappe au temps ?… Reste que l’avènement socialiste avec tant de joie dans les rues, nous a délivrés de l’emprise sournoise d’une politique responsable entre autre de « l’exportation » scandaleuse des « Grandes Baigneuses » de Cézanne. Joyau du Musée de New-York. (Je précise que je ne suis engagé dans aucun parti politique…). Enfin dans le même sens :
UNE GUERRE DES PIERRES (n° 10)
en chantier…
EPISODE DE LA GUERRE IRAN IRAK (n° 11)
LA RENAISSANCE DE L A PEINTURE (n° 12)
Doit être considérée comme une étude, et comme un hommage tardif rendu à Pierre Loeb. L a petite vision de Venise sous une arche correspond à des vacances gratuites que m’offrit Pierre, grand seigneur, à seule fin que je renouvelle mes « visions »… Son portrait approximatif, sous le mien, à droite, n’est pas très ressemblant, faute de documents pour raviver ma mémoire ; mais ceux de Descartes, Cézanne, Vinci, Rembrandt, Saskia, André Masson, mon ami Ilio Signori (l’un des plus grands sculpteurs de cette époque), enfin El Gréco, Goya et Rubens (ces trois derniers confondus…), le sont. J’ignore quel mobile m’a poussé, ou ce que j ‘ a i voulu me démontrer à moi-même en composant cette étude qui mériterait une autre dimension; quelque chose d’un discours inachevé remontant à ces sources dont il est question en note à propos du • « figurisme »?
PORTRAIT DE FROU. (n° 13)
Des taches et de très fines « valeurs » donnent avec « évidence’ ‘, en transvision, la ressemblance de ma compagne… (La ressemblance fonctionne comme un sorite, par quoi la « majeure » du principal auquel ressemble l’autre peut- • être à chaque fois inversée : laquelle ressemble le plus à la « Montagne Ste Victoire » de la montagne réelle ou de celle peinte par Cézanne ?…).
UNE GRANDE PERSONNALITE. (n° 14)
« Découvert » de ses divers masques à la télé et ainsi observé. Je me suis efforcé de tendre la ressemblance en la diffusant en cinq versions ; à travers tout un réseau de ‘ ‘valeur’ ‘ et de « signes » fixant la grande différence entre la matérialité apparente du pictural et la transvision de ressemblance, en présence de : l’évidence (vidère ; voir) que le spectateur « réalise » à son tour. Par exemple l’écart délicat et déterminant de deux simples points « terre de sienne brûlée » pour le nez du demi-profil droit.
VERSION. (n° 15)
semi-officielle (?)
VERSION SAISISSANTE, (n° 16)
En effet la ressemblance tient à un ‘ ‘grain’ ‘ de peinture…
PORTRAIT D’ANDRE VIDAL. (n° 17)
Mon grand ami collectionneur et mécène peint entièrement de mémoire n’est ressemblant peut-être qu’à mes yeux, tellement j ‘ ai cherché à le rendre le plus « abstrait » possible…
LA GRANDE BATAILLE. (n° 18)
Prétexte à peindre des chevaux. En raison de sa dimension ne sera sans doute pas exposée à Paris…
BALLET CLASSIQUE. (n° 19)
Musique de couleurs vives.
LA CAVALCADE. (n° 20)
Ces troupeaux de chevaux de la préhistoire, comme on en voit dans les westerns…
SAUTS D’OBSTACLE. (n° 21)
Les ligaments avec des noeuds de couleurs… soit nettement une véritable incarnation des signes…
LE GRAND DELIRE . (n° 22)
Sur le même sujet érotico-philosophique, j ‘ a i un projet de film et de roman…
EROS A ROLAND GARROS. (n° 23)
D’où suivez mon regard, avide, comme tout un chacun, d’obsédé sexuel.
MER ETINCELANTE. (n° 24)
Voilà qui pourrait équivaloir visuellement à cette phrase de Valéry : « Mer plate-grise, avec de grandes parties grenues qui montrent une activité locale, une démangeaison, un fourmillement de surface » . . . ( P . Valéry, « Mélanges » p/17 NRF).
LE FIL . (n° 25)
Camaïeu en blanc et noir pour le plaisir de composer… Non exposée à Paris.
PETITE LEDA (n° 26)
Zeus en cygne a dû forcément se réserver un morceau d’humain pour pouvoir « zeuziner » la belle Léda, Reine de Sparte.
LA PATINEUSE. (n° 27)
Ou bien, encore, « suivez mon regard « délicieusement tendu sur toute la rondeur d’un mouvement dans toute sa grâce, mais déphasé…
DU PLUS LOINTAIN : LES CRUCIFIXIONS. (n° 28)
DETAIL. (n° 29)
L’ORCHESTRE. (n° 30)
En hommage à Pierre Boulez et en souvenir d’une rencontre au » 121 » (sic) rue Beautreillis…
ROCK A PHILADELPHIE. (n » 31)
Grande houle humaine observée la nuit à la télévision. L a transcription en images réduites et en prises de vues forcément réalistes de cet immense rassemblement humain, à l’analyse, ne l’était pas plus dans sa définition, que la State et la rythmique des striations, colorée par endroit comme les écailles gris-verdâtre des coquilles d’huitres, reprises dans ma peinture. Toutefois l’énorme différence entre ces deux « prises de vues », c’est que la première s’est déroulée jusqu’à disparaître ; tandis que le commencement de la mienne (après un an de travail) s’est unifié dans un « achevé » et la fluidité de mouvements secrets… Or donc reste immuable…
LES BRAS LEVES. (n° 32)
Terrible, j ‘ a i vu les mêmes images, exactement les mêmes, dans les manifestations de joie et de délire autour de concerts de jazz par exemple, ou dans certaines hystéries collectives religieuses et guerrières comme en Iran devant des ayatollahs à la tête perdue…
LE GRAND PASSAGE. (n° 33)
Ma philosophie élémentaire ; renvoi à la première phrase de ma conclusion… Ou encore que nous n’avons pas le choix de notre gaie-guerre au grand sommeil…
QUEL CUL ! (n° 34)
PIQUE-NIQUE. (n° 35)
VERDURE. (n° 36)
AUTRE PATINEUSE. (n° 37)
L’AMBIGUÏTE E T PISSEUSE DIALECTIQUE. (n° 38)
Développement de la toile n° 3
CAVALIER BLANC ET D’AUTRES (n° 39)
OLE !… (n° 40)
Cherche un énoncé plus pur (énigmatique) avec un maximum de couleurs « rabattues », en » négatif . Avec :
CORRIDA. (n° 41)
Sans de longues minutes de « contemplation » de la part du spectateur ce tableau n’existera pas.
MER NOIRE E T BLANCHE. (n° 42)
On finit par la « voir » bleue…
Conclusion
« Tout homme qui se prend complètement au sérieux est un malade »… Comme cette phrase est de mon cru, et devant mon âge mais en raison de la jeunesse d’esprit qui s’en suit, je me dorme le droit de prétendre que, « quoi qu’on en dise », l’une ou l’autre de ces œuvres en étant unique, montre à quel extrême je me cherche… Là j’avance, mais i l doit exister dans les neurones du cerveau une mémoire forte et sans doute fondamentale des (et de nos) origines, une volée de « monades » venue d’un pluB lointain que l’ère des dinosaures; comme de l’infini, en informe, traîne dans le poreux de l’apparence des matières… Pour devenir la finalité extrême de ce monde, (avec ou sans « des dieux »?), ne fallait-il pas que la conscience s’imagine pour : en Etre ?… Tout nouveau réalisme de l’art ne peut dépendre encore et toujours que de l’imaginaire ou bien sans cette ouverture d’esprit fondamentale, il devient prosaïque, artificiel et factice… dérisoire. Alors la peinture reprend tout son sens, vivante… Entre des cris, du sexe, de l’esprit, des ricanements, voire des angoisses …
R. LAPOUJADE Saincy de Bellot Sept. 1988
1) – Exposition prévue à Paris du 6 octobre au 6 novembre. Galerie de l’Odéon; 11 rue de l’Odéon, 75006 Paris – Tél. 43 26 55 50. Vernissage le 6 octobre (invitation suivra…)
(2) – FIGURISME « Doctrine de ceux qui voyaient dans l’Ancien Testament la figure du Nouveau ». Die Petit Robert. Si j’ai choisi ce terme pour situer mes peintures, c’est qu’en étant dérivé de figure et presque synonyme de « figuration », il en diffère, par une transposition plus abstraite, mais en se référant à toute la science des oeuvres en chef du passé. Si l’on considère que l’histoire de la peinture se départage en deux grands courants : sous forme de Bandes Dessinées d’une certaine manière depuis la préhistoire, l’art égyptien, jusqu’à tel génial acrobate de l’imaginaire* et ses disciples, ou, en peintare fondamentale, Giotto, Vinci, Vermeer, Vélasquez, Le Gréco, Rembrandt, Chardin, Manet, Cézanne et j’en passe, par lesquels notre connaissance diffère, – ou notre mémoire fixe – comment ne pas reconnaître que la peintare sans cesse se remet en question et évolue, sans jamais que pour soi il n’y ait de réponse du fond des choses… Mais ce sont là excuses de ne rien savoir, et qu’il reste de tout apprendre, de tout reprendre… * il n’y a pas, il ne peut pas y avoir une couleur en « B.D. », comme il existe un bleu de Vermeer, un vert Veronèse, les gris argentés de Vélasquez, les rouges et les verts de Cézanne, les violets pulpeux de Bonnard; la raison en est simple de ‘ ‘l’âme des dessous » à un véritable sédiment de la couleur chez ces peintres…