1961–Nus, Émeutes, Galerie La Hune, Paris

Préface Maurice Nadeau :

Vainqueur

La peinture est partie de la tâche, la poésie du mot, la musique du son. Dans le retour qui s’effectue aujourd’hui vers ces éléments premiers, convenablement animés, toute une évolution est contenue qui n’a jamais été, même chez les plus grands, qu’organisation nouvelle et toujours diverse, parfois compliquée à l’extrême, parfois d’une géniale simplicité, de taches, de mots, de sons. Toutefois, ce retour, où d’aucuns voudraient voir une désagrégation des arts et leur décadence, signifie au contraire — et compte non tenu de la découverte incessante de nouvelles techniques — une conquête de l’évidence. Si le matériau pris à la nature, en devenant signe, nie cette nature qu’on imite, qu’on copie, qu’on traduit, qu’on plagie, il publie en même temps, dans une sorte d’innocence démasquée, la spontanéité du geste, l’incorruptibilité du mot, la nudité du son. Les moyens d’expression cessent de faire écran entre le monde et l’homme. L’artiste se montre à nu. Cette spontanéité et cette innocence, qui viennent au terme d’une maîtrise dont les secrets s’épuisent et qui gagne à être surmontée, je les vois peu à peu fleurir sous la main du savant et raisonneur Robert Lapoujade pour autant qu’il offre le champ libre à ce fidèle sismographe. 11 en résulte ces ombres noires et pressées qui fuient sous un ciel fuligineux ou se dressent dans une revendication ultime (Emeutes), ces paysages où l’imagination joue aux quatre fois quatre O U J \ coins, ces nus qui promettent l’évidence de la chair et, mieux encore, cette écriture déliée où peuvent à la fois se lire notre être et notre destin. Aucun autre dénominateur commun à cet œuvre si varié, si riche, si peu limité et où s’ébat une curiosité investigatrice qui parcourt tous domaines — aujourd’hui l’eau-forte en couleurs, demain le cinéma — posant autant de jalons dans une marche boulimique vers la possession sans cesse différée du monde. Il est loin le temps, pas si lointain pourtant, où Robert Lapoujade, avec ses portraits à la mine de plomb, passait seulement j pour «un merveilleux dessinateur». . Emeutes », « Paysages », « Nus » (et notamment la vaporeuse « Adolescente » dont il est difficile de ne pas s’éprendre), ces titres que le peintre offre comme supports à l’imagination, \ l’imagination peut aussi bien s’en passer, vagabonder ailleurs, chez Rembrandt ou Delacroix par exemple, et tenir ces corps pour des paysages (avec leurs montagnes, leurs cours d’eau, leurs ravines, voire leurs cratères à fond perdu), ces paysages pour des corps dont une subtile radiographie révélerait la géographie intérieure, l’irisation des viscères comme le chatoiement des humeurs. Décomposés, recomposés selon des lois qui ne dénoncent nulle manière et refusent la marque de fabrique, le monde et l’homme courent ici à la rencontre I de l’autre et s’unissent dans une allégeance au signe.  MAURICE NADEAU

 

 

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